Lieu :
Adresse :
Villard-de-Lans.
Coordonées GPS :
Etienne | 1 |
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Les Espinasses (1180m) – Col de l'Arc (1736 m) – Pic St Michel (1966m) – Balcon Est – Col Vert (1766m)
Comme il s'agit de marcher, tout commence logiquement par un marché, à Villard de Lans.
Nous devions être rentrés à midi "au plus tard", histoire de déjeuner à notre aise et d'entamer la rando vers 13h "au plus tard". Ce matin-là, tous les indicateurs étaient au beau fixe: temps idéal, prévisions excellentes, groupe restreint, tout le monde en pleine forme.
Hélas, rien ne s'est passé comme prévu. D'abord, un crochet par l'Intermarché pour effectuer les courses du groupe, ensuite une interminable flânerie sur le marché ponctué par un concert manouche sous le kiosque de la place municipale, plus tard la visite d'à peu près toutes les boutiques du centre-ville et nouvelle incursion sur le marché, à l'heure de fermeture, pour emporter les cageots de fruits et légumes. De temps à autres, je jetais un regard impatient vers les arêtes du Gerbier qui découpaient le ciel bleu en surplomb de la vallée, et me prenais à regretter tout ce temps perdu, imaginant les paysages somptueux, la visibilité exceptionnelle, l'air frais, le sifflement des marmottes. Plus d'une fois, je me suis inquiété de l'heure qui avançait, sans que cela ne semble susciter la moindre réaction utile.
Finalement, il est... 13h30 quand nous rentrons. La rando étant programmée depuis la veille, j'avais veillé à préparer mes affaires dès le matin. "Cinq heures de marches, si on part à 14h30, c'est jouable" me suis-je dit en enfilant mes chaussures, après avoir expédié mon repas. Et là, surprise. Personne ne semble partager mon engouement. On traînasse, on papote, on s'éloigne d'un pas nonchalant vers la piscine, la serviette de bain jetée sur l'épaule. J'entends dire: "à mon avis, la rando, c'est mort."
Comment ça, la rando, c'est mort? Sérieux? Il est 14h!
Je fulmine, et ne m'en cache pas auprès de Julie. Bien décidé à réaliser le programme du jour, je m'empare de mon sac, jette un coup d'oeil rapide à la carte IGN et prends la route, direction Les Espinasses.
Il est 14h36 quand j'attaque le sentier de Grande Traversée du Vercors (GTV). Le chemin longe des pâtures et s'enfonce dans un bois de sapins. Au-dessus de moi, le Roc Cornafion (2049m) se dresse comme un majeur tendu à la face de tous les branleurs du monde. Je marche d'un bon pas, dépasse la Ya (1215m) et atteins les prairies de Machiret (1330m). Dans la partie finale du bois, je croise la route de quelques vaches attardées d'un troupeau. J'arrive à Font Froide, là où s'arrête la forêt et commence la roche. La déclivité s'accroît, je revis enfin. Un kilomètre plus loin et 236m de dénivelé plus haut, j'atteins le Col de l'Arc, avec vue imprenable sur la vallée de Grenoble. Au fond, les massifs des Grandes Rousses, de Taillefer et de l'Obiou. Tout à gauche, le Mont Blanc se hisse au-dessus d'un lambeau de nuages.
15H40. J'ai le temps de pousser jusqu'au Pic St Michel, que le panneau indicatif m'annonce à 1km de là, soit 35 minutes de marche. Je grimpe aussi vite que je peux, dans l'espoir de devancer les nuages que je vois s'amonceler et s'accrocher au sommet. Las! Quand je parviens sur la crête, le sommet est plongé dans le brouillard. Aussitôt me revient en mémoire le ciel parfaitement dégagé de ce matin et je peste à nouveau contre ce retard inutile. On ne m'y reprendra plus! Tant pis. Après avoir atteint la croix sommitale du pic, je redescends au pas de course jusqu'au Col de l'Arc. Il est 16h20. Je viens pour ainsi dire de terminer, en moins de deux heures, la randonnée qu'on m'avait donnée pour "morte". J'ai le choix: soit je rentre au gîte, soit je continue.
Evidemment, je continue. Direction le Col Vert. Un premier panneau m'avertit: "Passages délicats.
Prudence". Qu'à cela ne tienne. J'ai faim de montagne, faim de sensations, faim de passages délicats. Je m'engage sur les contreforts de la Crête des Crocs et du Cornafion, un sentier à flanc de falaise à peine plus large qu'une piste pour chèvres. Après quelques dizaines de mètres, on peut lire un vieux panneau de l'ONF qui avertit de la dangerosité du sentier étroit qui chemine entre les barres rocheuses et traverse couloirs et pierriers. Les recommandations rappellent aussi les graves conséquences que pourraient provoquer chute de pierres ou glissade et terminent par une ultime mise en garde: "Les aléas naturels peuvent à tout moment rendre le passage difficile et incertain. En cas de doute, ne vous engagez pas sur ce sentier". Finalement, c'est peut-être mieux que je sois seul ici, me dis-je.
Voici ce qu'écrit un autre randonneur à propos de ce tronçon, et que je ne pourrais pas mieux décrire: "Jalonné de marques bleues et jaunes, le sentier est magnifiquement tracé dans les pentes raides. L'inclinaison des montées, celle des descentes sont régulières. Aujourd'hui, je ne me souviens que d'un seul passage à travers le pierrier d'un raide couloir où il est vraiment dégradé. Il emprunte fréquemment des vires où le passage peut sembler plus vertigineux mais, les ressauts rocheux qu'il franchit sont toujours aisés – sans les mains, si j'ose l'écrire. Dans les raides pentes, un replat permet une pause. L'occasion de se restaurer et de se retourner pour apprécier le chemin déjà parcouru. Très souvent, il est possible d'observer de belles dalles rocheuses sculptée en fines cannelures. De beaux piliers élancés séparent de raides couloirs que le sentier traverse avec audace. Depuis le passage étroit dans une barre rocheuse, le sentier descend par quelques lacets pour remonter jusqu'à 1900m à la bifurcation du Cornafion. Un beau panneau planté sur deux piquets indique la direction à prendre ROC CORNAFION 2049m COMMUNE DE SAINT PAUL DE VARCES. À vol d'oiseau, le Col Vert n'est plus qu'à environ 1,35 kilomètres. Mais c'est sans compter sur la perte de dénivelé qui se fait par de nombreux lacets presque superposés qui permettent de descendre vers 1750m – l'altitude du col aproximativement – mais nous n'avons progressé que de 350m (…)" (Gérard Barré, 2007).
Il est 18h24 lorsque j'atteins la dépression du Col Vert (1766m), bascule sur le versant ouest de la Crête et retrouve la lumière du soleil, après deux heures de progression à l'ombre des falaises. Il est temps pour moi de redescendre vers Les Espinasses. Je m'égare un peu dans les bois du côté de Lurbeillet (1500m), tombe par hasard sur une bergerie, m'enquiert du chemin auprès du propriétaire, et retrouve finalement le GTV qui me conduit à la Source des Plâtres (1276m), à la Conversaria (1170m) et de là, au parking des Espinasses. Sur le chemin du retour, je fais le bilan de cette petite rando, largement positif – presque inespéré -, et envisage plusieurs scénarios afin de retourner au Pic St Michel d'où le panorama doit certainement être extraordinaire par temps dégagé. Spontanément, une idée se fait jour: et pourquoi pas en nocturne?
Il est 19h45 lorsque je regagne notre gîte des Lombards. Evidemment, j'aimerais pouvoir partager dans les moindres détails cette superbe expérience de rando avec quelqu'un, histoire de lui raconter le plateau du Vercors vu d'en haut, les cimes en dents de scie découpant l'horizon, le ballet des ombres mouvantes des nuages dans la vallée ensoleillée, le troupeau de bouquetins surpris au détour d'un éperon rocheux, le cri perçant des marmottes... mais je sais aussi qu'à chacun ses préoccupations et ses attentes. Après tout, on est dimanche, non? Je me dis aussi que l'attrait pour la montagne, ça ne se commande pas. Ce n'est pas une question de posture intellectuelle ou de discours de salon, c'est une réalité chevillée au corps et à l'esprit. C'est un élan qu'on sent dans ses tripes, un enthousiasme qui parle d'authenticité, de beauté brute et de retour aux sources. C'est bien sûr un effort, un dépassement de soi et une fatigue, mais c'est surtout une évasion et un bonheur absolu qu'on ne trouve nulle part ailleurs, et qu'on recherche dès lors inlassablement, chaque fois qu'on le peut.
Plutôt que de me heurter à l'indifférence des uns et à l'écoute polie des autres, je garde tout ça pour moi, et je me promets d'en rédiger un compte-rendu aussi détaillé que possible, en me disant qu'un
jour, peut-être, quelqu'un fera l'effort de le lire et goûtera, à son tour, au plaisir unique et intense, mais tellement simple, que m'a offert cette première ballade dans les montagnes du Vercors.
Etienne